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Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère

Une analyse de Christine Partoune - Décembre 2019

Le 29 avril 2019, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBS, en anglais) a ouvert sa 7ème session plénière au siège de l’UNESCO à Paris 1, qui a abouti à un rapport publié le 6 mai, alertant sur le déclin de la nature, sans précédent à l’échelle humaine : environ un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies. Ce bilan rejoint le message d’alerte diffusé en octobre 2018 par le WWF qui intitulait ainsi son rapport 2018 : « En 40 ans, nous avons perdu 60% des populations d’animaux sauvages sur Terre ».

Thématiques

  • Biodiversité
  • Extinction des espèces

Cet effondrement de la biodiversité est très interpellant pour le secteur de l’éducation relative à l’environnement partout dans le monde, car cela signifie que, malgré les nombreuses actions de sensibilisation, d’éducation et de formation menées à l’échelle locale, la « vague verte » que nous voulions générer ne s’est pas encore manifestée, que du contraire !

C’est à une autre échelle qu’il convient d’agir, comme le soulignait Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, à la veille de la COP 25 lors d’une conférence de presse : « Nous devons mettre fin à notre guerre contre la nature ».

Le rapport de la Plateforme sur la biodiversité : un travail collaboratif inédit !

Ce qui est intéressant à mettre en évidence, du point de vue « citoyen », c’est que le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques a été élaboré non seulement par 145 expert·es issus de 50 pays, avec des contributions additionnelles apportées par 310 autres expert·es, mais aussi, et pour la première fois à une telle échelle, sur les savoirs autochtones et locaux.

Le rapport évalue les changements au cours des cinq dernières décennies et fournit un aperçu complet de la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature. Le document propose également un éventail de scénarios possibles pour les décennies à venir et aborde en particulier les questions concernant les peuples autochtones et les communautés locales.

Les contributeur·rices estiment qu’environ « 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité » (IPBES, communiqué de presse, 6 mai 2019).

Globalement, les résultats sont très inquiétants : « depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne ; plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d’un tiers de tous les mammifères marins sont menacés » (IPBES, op. cit.). Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le 16e siècle, plus de 9 % de toutes les races domestiquées de mammifères utilisées pour l’alimentation et l’agriculture avaient disparu en 2016, et 1 000 races de plus sont menacées. Pour les espèces d’insectes, l’estimation est provisoire : 10 % seraient menacées.

À l’échelle mondiale et dans l’Union européenne

Les grands mammifères terrestres

Depuis la préhistoire, la disparition de nombreuses espèces de grands animaux et la régression du nombre de ceux qui restent encore a été et est toujours d’abord imputable à la chasse, pratiquée de manière non parcimonieuse pour le plaisir de tuer et d’exhiber ses proies. Ce n’est que dans des territoires où la législation les protège, comme dans l’Union européenne, que certaines espèces parviennent à maintenir ou à restaurer leurs effectifs, en dépit de la résistance de certains groupes sociaux. À titre d’exemples, les populations d’ours, de lynx, de loups, se portent de mieux en mieux en Europe. En Belgique, on note quelques timides apparitions du loup, qui ont immédiatement suscité la polémique. Mais bien qu’un réseau « Loup » ait été mis en place, une louve a été abattue, victime de la peur, de l’ignorance et/ou de la vanité…

Par contre, en Afrique, les éléphants (70 % ont disparu en 40 ans), les girafes, les rhinocéros, les gorilles, sont véritablement menacés d’extinction. Aujourd’hui, seuls les safaris non liés à la chasse permettent de générer un peu de moyens pour maintenir certaines populations en vie dans des parcs naturels surveillés par des gardiens lourdement armés. Il est à regretter qu’ici non plus l’éducation ne parvienne pas à mettre en place les changements de comportements escomptés et que seules les armes sont efficaces pour la protection de ces espèces remarquables…

La faune marine

Même si des dauphins et des baleines sont de retour en Méditerranée, les grands mammifères marins continuent aussi à être menacés, en dépit des accords internationaux pour les protéger. Mais c’est toute la faune marine qui est proprement éreintée par la surpêche en haute mer, qui échappe à toute législation, et qui ne profite qu’aux consommateur·rices des pays les plus riches. Ainsi, en l’espace de quelques décennies seulement, nombre d’espèces les plus emblématiques, comme des albatros, tortues ou requins, ont connu un déclin considérable. Dans le même temps, de nombreux habitats des eaux continentales ou profondes, comme les coraux d’eaux froides et les champs d’éponges, vieux parfois de plusieurs siècles, ont été détruits par les lourds filets de pêche raclant les fonds marins. La présence de plastiques en haute mer est aussi devenue un vrai problème pour toute la faune, tout comme le réchauffement climatique (Greenpeace, 2019).
Face à l’urgence, les Nations Unies ont convoqué une Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones de haute mer, dont les travaux ont débuté en 2018. L’idée de constituer des aires marines protégées (AMP) fait son chemin.

Les oiseaux

Du côté des oiseaux, la situation n’est guère réjouissante. En cause : la destruction des habitats, la chasse et les productions agricoles intensives.

La directive « Oiseaux » de l’Union européenne fête ses 40 ans cette année. Elle a pour ambition d’assurer la conservation de toutes les espèces d’oiseaux, nicheuses ou migratrices, vivant à l’état sauvage sur le territoire de l’Union Européenne, soit environ 500 espèces actuellement. Les États membres ont l’obligation de créer un réseau d’aires protégées pour préserver les habitats des oiseaux nicheurs (194 espèces). Elles sont intégrées dans le réseau Natura 2000 et soumises au régime de protection de la directive « Habitats ». En Wallonie, le réseau Natura 2000 mis en place entre 2002 et 2018 inclut 240 sites, sur une superficie d’environ 221.000 ha.

Ces deux directives ont fait la preuve de leur efficacité lorsqu’elles sont correctement appliquées. Mais, malgré que la chasse aux petits migrateurs soit en principe interdite, plusieurs États méditerranéens sont condamnés chaque année pour non-respect de cette interdiction : ce sont quelque 25 millions d’oiseaux migrateurs qui sont abattus illégalement chaque année.
Pour l’Union Européenne en général, l’état de conservation des espèces concernées par les Directives est défavorable pour 63 % des espèces de la région biogéographique continentale et pour 71 % de celles de la région atlantique (2007-2012). Concernant les habitats concernés par la Directive, l’état de conservation est défavorable pour 88 % d’entre-eux en région continentale, et pour 96 %, en région atlantique.
Pour autant, l’existence de zones protégées ne suffirait pas à infléchir significativement la tendance négative, tant que l’Union Européenne ne s’attelle pas au développement de pratiques agricoles et forestières favorables à la biodiversité (Born, 2019).

État de l’environnement en Wallonie

Entre 1990 et 2015, les effectifs d’oiseaux communs en Wallonie ont enregistré une baisse de 25 % ; 43 espèces d’oiseaux nicheurs sont menacées (chiffres établis sur la base des indicateurs de l’UE, publiés dans le Rapport sur l’état de l’environnement wallon 2017).

Selon la liste non encore exhaustive des espèces exotiques envahissantes en Wallonie, 375 espèces de plantes ornementales et 21 espèces de vertébrés d’origine exotique sont naturalisées. Sur les 37 espèces jugées préoccupantes pour l’Union Européenne, 14 espèces sont naturalisées en Wallonie.

En Wallonie, entre 1990 et 2015, la superficie dédiée aux terrains résidentiels a augmenté de 37,4 %, passant de 77.138 ha à 105.967 ha (soit 60 % des terrains artificialisés), alors que, sur la même période, la population wallonne n’a progressé que de 10,7 % ; cette augmentation est en effet également liée à la croissance du nombre de ménages privés (+ 20,6 % entre 1990 et 2015) et à une plus grande consommation en sol par ménage.

Le niveau moyen de fragmentation des espaces semi-naturels du territoire wallon a augmenté de 5,4 %. Toutefois, on note qu’entre 1981 et 2011, la superficie forestière 2 totale a augmenté de 18 500 ha (essentiellement dans des affectations non productives, par déshérence des versants ou des fonds de vallées humides), alors que la superficie des peuplements productifs a diminué de 18 800 ha.

Quant à la qualité de l’eau douce, pour la période 2010-2015, seulement 41 % des masses d’eau de surface étaient en bon ou très bon état écologique. Dans le contexte des changements climatiques, la gestion des ressources en eau pourrait devenir un élément de préoccupation majeure : un des objectifs de cette gestion est de maintenir le bon état quantitatif des masses d’eau, autrement dit un équilibre durable entre les prélèvements et les ressources disponibles. Un « plan sécheresse environnement agriculture » est en préparation.
Concernant le secteur agricole, entre 1990 et 2015, le nombre d’exploitations a régulièrement diminué en Wallonie, passant de 29.083 à 12.872, ce qui correspond à une diminution de 55,8 %. Ce phénomène touche surtout les petites structures de moins de 20 ha. La superficie moyenne des exploitations a quant à elle doublé, passant de 25,9 ha à 55,7 ha.

Conclusion

Nous nous accordons avec Inès Trépant lorsqu’elle dénonce, avec d’autres, le modèle économique dominant qui repose sur le paradigme de la croissance illimitée : « En appréhendant la nature sous l’angle de réservoir inépuisable de ressources naturelles, l’homme a façonné un modèle économique de cigales. De réservoir, la nature s’est muée en dépotoir » (Trépant, 2017 : p. 359).

Cette scientifique propose une analyse édifiante et glaçante sur la politique semencière de l’Union Européenne et sa politique en matière de biocarburants, sur la réglementation des pesticides et des OGM, ainsi que sur l’utilisation d’engrais azotés et sur ladite « bioéconomie ».

C’est aussi ce qui est pointé à l’échelle de la planète dans la partie politique du rapport de l’IPBS : « les cinq facteurs directs de changement qui affectent la nature et qui ont les plus forts impacts à l’échelle mondiale sont, par ordre décroissant : (1) les changements d’usage des terres et de la mer ; (2) l’exploitation directe de certains organismes ; (3) le changement climatique ; (4) la pollution et (5) les espèces exotiques envahissantes ».

Les mantras « croissance, compétitivité de l’économie et emploi » sont au cœur d’une vision de l’économie comme activité indépendante de la société, considérant la nature uniquement comme une ressource. Activité économique que l’on peut éventuellement aménager à la marge pour garder les consommateur·rices biberonnés aveuglément au « développement durable ».

La capacité de l’Union Européenne de montrer l’exemple en matière de protection de l’environnement et de la biodiversité bute sur ces impératifs. Et l’essor des biotechnologies risque de nous bercer d’illusions, car le pillage de la nature va plus vite que l’innovation technologique.

Quelle est notre place face à ce désastre, en tant que vecteurs d’une éducation relative à l’environnement critique ?

Pour clore son ouvrage, Inès Trépant cite Édouard Goldsmith, qui peut nous inspirer :
« Nous ne sauverons pas la planète par une décision rationnelle et dépourvue de sensibilité, en signant avec elle une sorte de contrat écologique sur une analyse coûts/bénéfices. Un engagement moral et émotionnel est nécessaire ».
Elle nous encourage à éveiller la conscience citoyenne sur la richesse de la biodiversité en l’inscrivant dans les cursus scolaires dès le plus jeune âge : « La re-connexion de l’homme avec la nature est le remède contre sa destruction. Le réenchantement du monde en dépend ».
Nous en sommes pour notre part persuadé·es, et c’est ce qui motive notre conviction qu’il faut nécessairement coupler l’éducation pour l’environnement à l’éducation par l’environnement, dont l’objet est de fonder et/ou d’enrichir cette relation profonde à la nature qui fait de nous des terrien·nes à part entière.

 

Christine Partoune

Notes

  1. https://fr.unesco.org/events/7e-session-pleniere-plateforme-intergouvernementale-scientifique-politique-biodiversite
  2. Ce terme est mis en italique car qualifier de « forêt » les espaces boisés dans notre pays est considéré comme un abus de langage
    au sens écologique du terme, puisqu’ils résultent tous de plantations.

Bibliographie

BORN, Charles-Hubert, mai-juin 2019. 40 ans de protection des oiseaux, Le magazine Natagora, n°91, pp. 6-11.

IPBES (Intergouvernemental Platform on Biodiversity and ecosystemic services), mai 2019, Rapport de la 7ème session plénière tenue à Paris le 29 avril 2019, avec documents visuels (photos, vidéos). bit.ly/IPBESReport

Rapport sur l’état de l’environnement wallon, 2017. Éd. Service public de Wallonie, 368 p. http://etat.environnement.wallonie.be/files/Publications/REEW2016/DGRNE-16-16716-REEW%202016-sl-051217-prod2%20-%20basse%20r%c3%a9solution.pdf

ROBERTS, Callum M. (dir.), PAGE, Richard W., O’LEARY, Bethan C, ALLEN, Harriet L. Allen, YATES Katherine L., TUDHOPE, Alexander W., McCLEAN, Colin, ROGERS, Alex D., HAWKINS, Julie P., , 8 avril 2019. 30×30 Feuille de route pour la protection des océans, Comment protéger les océans d’ici à 2030, éd. Greenpeace. https://storage.googleapis.com/planet4-canada-stateless/2019/06/766102ea-30x30_version-fr.pdf

TREPANT, Inès, 2017. Biodiversité, quand les politiques européennes menacent le vivant. Connaitre la nature pour mieux légiférer. Éd. Yves Michel, coll. Société civile, 366 p.
WWF, 30/10/2018, Rapport Planète Vivante 2018, https://wwf.be/fr/actualites/rapport-planete-vivante-2018-en-40-ans-nous-avons-perdu-60-des-populations-danimaux-sauvages-sur-terre/?gclid=EAIaIQobChMI8sva27Xp5AIVQuR3Ch0uqQ4mEAAYASAAEgLi6vD_BwE

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