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Faire évoluer les représentations mentales

Contexte
Les représentations mentales : de quoi s’agit-il ? Diversité des manières de voir
Les représentations sociales
A quoi cela sert-il d’expliciter les représentations ?
Comment recueillir les représentations ?
Que faire des représentations ?
Bibliographie

Contexte

Si nous entendons les mots « paysage », « New York » ou « environnement », notre cerveau réagit aussitôt : ils éveillent des choses en nous, confusément, dont nous pouvons expliciter certains éléments.

Le terme de représentation mentale, né dans le champ des sciences cognitives, désigne un « déjà là » conceptuel qui serait le terreau à partir duquel peuvent s’ancrer d’éventuelles modifications de cette représentation.

Depuis longtemps, les animateurs et formateurs qui développent des approches pédagogiques centrées sur les personnes visées savent bien qu’il est très important de tenir compte et de valoriser ce qu’elles « savent déjà » et ce qu’elles « savent déjà faire », pour faire bref.

Cette fiche a pour objectif de fournir des outils pour interroger ces pratiques courantes et répondre aux questions suivantes :

  • les représentations mentales : de quoi s’agit-il ?
  • qu’est-il important de recueillir comme information et de qui ?
  • à quoi cela sert-il de recueillir les représentations ?
  • comment les recueillir ?
  • à qui appartiennent-elles et qu’en faire ?

Les représentations mentales : de quoi s’agit-il ? Diversité des manières de voir

1. Dans la vision rationaliste, émotion et cognition sont dissociées

Chez certains auteurs, le terme « représentation mentale » désigne seulement la part conceptuelle des connaissances, en négligeant la part affective. C’est comme si nous devions dissocier ce que nous avons appris par notre vécu, dans la globalité de notre être ressentant et pensant, pour ne considérer comme digne d’intérêt que le « résidu sec » de nos idées.

Cette posture correspond au modèle culturel du rationalisme, marqué par une position philosophique réaliste et dualiste. Les réalistes pensent qu’il existe une réalité extérieure et connaissable, indépendante de l’observateur et de sa pensée. Il y aurait donc séparabilité entre le sujet observant et l’objet observé. Le dualisme consiste à voir dans le monde des entités bipolaires qu’il s’agit de définir a contrario l’une de l’autre : corps/pensée (ou âme), raison et émotion, féminité et masculinité, nature et culture, idées et objets, etc.

Précisons que le terme français d’émotion désigne essentiellement « une réaction aiguë et brève provoquée par un stimulus spécifique », alors qu’en anglais, le terme emotion est plus large et recouvre aussi ce que l’on désigne par sentiment en français, plus durable et moins inopiné. Par ailleurs, ce n’est que tout récemment qu’a été reconnue dans le monde scientifique l’existence d’émotions dont nous n’avons pas conscience ; elles peuvent à présent être mesurées par les réactions électrodermales (Channouf et Rouan, 2002, p. 197). C’est l’ensemble de ces affects qui sont pris en considération ici.

Les débats portant sur la relation entre émotion et cognition sont principalement marqués par deux théories, l’une soutenant que l’émotion précède la cognition, l’autre soutenant l’inverse (Channouf et Rouan, 2002). La multiplication d’expérimentations en laboratoire par les uns et par les autres n’apporte toujours pas de résultats permettant de conclure dans un sens ou dans un autre.

2. Dans la vision interactionniste, émotion et cognition sont concommitantes et en interaction

La posture rationaliste est controversée par certains auteurs qui considèrent qu’il faut peut-être laisser tomber le dualisme et la causalité linéaire (De Bonis, 2002, in Channouf et Rouan, pp. 113-114 ; Channouf et Rouan, 2002, p. 6).

Plusieurs auteurs considèrent qu’émotions et cognitions relèveraient d’une seule et même réalité psychique. Niedenthal, Dalle et Rohmann (2002) pensent que la plupart des concepts sociaux évoquent une tonalité affective, qu’ils sont stockés en mémoire sous forme d’entités émotionnellement chargées. Tout traitement cognitif sur ces informations serait également affecté par cette dimension émotionnelle.

En outre, il a été reconnu que « l’activité consciente verbalisée n’exprime pas la totalité du savoir sensible » (Niedenthal, Krauth-Gruber et Ric, 2008), alors qu’auparavant, la conscience de l’émotion et l’émotion étaient confondues et la seule cognition considérée était celle dont on avait conscience et qui pouvait s’exprimer à travers le langage.

Une position émergente considère plutôt que nous sommes à tout instant dans un état de « veille émotionnelle », certains considérant même que les émotions seraient aux commandes des cognitions (Nugier & Niedenthal, 2005).

En accord avec ces idées, Edgard Morin met en évidence l’importance de la place des émotions dans le fonctionnement de l’intelligence : « L’affectivité peut étouffer la connaissance, mais elle peut aussi l’étoffer. Il y a une relation étroite entre l’intelligence et l’affectivité : la faculté de raisonner peut être diminuée, voire détruite, par un déficit d’émotion ; l’affaiblissement de la capacité à réagir émotionnellement peut être même à la source de comportements irrationnels » (Morin, 1999, p. 6).

Voilà qui donne du sens à l’axe « éducation par l’environnement », centré sur la dimension affective de notre relation à l’environnement.

Nous pouvons apparenter une autre théorie à la vision interactionniste, c’est le courant de la cognition expérientialiste.

Les chercheurs de ce courant considèrent que le corps, avec sa relation au monde spatial réel ou virtuel qui l’entoure est un lieu d’ancrage pour l’activité mentale. C’est le courant de la cognition expérientialiste, qui donne priorité à l’expérience physique, qui conditionnerait toutes les autres expériences (affectives, culturelles, mentales). L’environnement en tant que tel et la manière dont nous l’occupons et nous y déplaçons physiquement est donc considéré comme un élément majeur à prendre en compte.

Conclusion

À propos du débat sur la distinction entre émotion et cognition, il semble difficile de différencier une émotion pure (sans cognition) d’une cognition pure (sans émotion). L’on peut dès lors faire l’hypothèse que la distinction théorique entre émotion et cognition est entachée de présupposés moraux qui nous font voir les choses comme nous avons envie de les voir.

Ces recherches plaident pour une intégration de la dimension émotionnelle dans tout dispositif d’animation ou de formation, tant au moment de la conception qu’au moment de sa réalisation puis de son évaluation.

C’est ce qui nous a guidés dans le choix d’une définition de ce qu’est une représentation :

« Une représentation est un phénomène mental qui correspond à un ensemble plus ou moins conscient, organisé et cohérent, d’éléments cognitifs, affectifs et du domaine des valeurs concernant un objet particulier. On y retrouve des éléments conceptuels, des attitudes, des valeurs, des images mentales, des connotations, des associations, etc. C’est un univers symbolique, culturellement déterminé, où se forgent les théories spontanées, les opinions, les préjugés, les décisions d’action, etc. » (Garnier et Sauvé, 1999, p. 66).

Nous proposons d’ajouter à la liste d’éléments constitutifs relevés (cognitifs, affectifs et du domaine des valeurs) des éléments corporels, kinesthésiques et spatiaux.

Les représentations sociales

Dans les années 1960, le terme de « représentation sociale » est né pour désigner les représentations que construisent les groupes sociaux à propos d’objets sociaux comme la santé ou l’environnement, par exemple.

Nous reconnaissons ici une posture socioconstructiviste qui considère que les représentations sont socialement construites : elles se structurent au cours de processus d’échange et d’interactions avec le groupe social de référence » (Sauvé et Machabée, 2000, p. 183).

Cette façon de voir les choses est déterminante pour le métier d’animateur/formateur et il convient d’être attentif les liens entre la représentation et l’agir dans un rapport dialectique :

« Une représentation se construit, se déconstruit, se reconstruit, se structure et évolue au cœur de l’interaction avec l’objet appréhendé, alors même que l’interaction avec l’objet est déterminée par la représentation que le sujet en construit » (ibidem) ».

La réussite d’un dispositif d’animation ou de formation dépend notamment de l’alchimie qui se fera ou pas entre les représentations de tous (public-cible et animateur/formateur) à propos de trois choses :

  • l’objet d’apprentissage ;
  • eux-mêmes en tant qu’acteurs (apprenant ou animateur/formateur) ;
  • l’apprentissage en tant que tel.

La posture constructiviste donne une autre valeur aux représentations dites « initiales » : plutôt que de parler de « fausses idées », on reconnaîtra que si les représentations existent chez les personnes, c’est qu’elles fonctionnent ! Sinon, les personnes les auraient abandonnées. Elles fonctionnent dans un certain contexte, à une échelle donnée, à une époque donnée. Mais peut-être pas de manière absolue… Par exemple, considérer que c’est le soleil qui tourne autour de la terre n’a pas d’impact sur la vie quotidienne en général, si ce n’est le sentiment diffus d’être le nombril du monde…

L’objectif d’une séquence d’apprentissage sera donc de provoquer des ruptures par rapport aux représentations, des ruptures de contexte, pour en cerner les limites et les faire évoluer, ou encore de mettre en évidence quels sont les éléments qui conditionnent les représentations, comme par exemple nos filtres perceptifs.

A quoi cela sert-il d’expliciter les représentations ?

Comment l’expriment si bien L. Sauvé et L. Machabée (2000), les représentations constituent le point focal de l’apprentissage.

  • Le recueil des représentations sert d’abord et surtout à la personne qui les exprime : cela lui permet d’en prendre conscience. Il peut rester confidentiel ou livré publiquement. Dans ce cas, il permet aussi de se situer par rapport aux autres.
  • Les représentations exprimées peuvent servir de point de repère pour évaluer leur évolution en fin de projet ou à plus long terme.
  • Le recueil des représentations permet de mettre à jour les réticences, les motivations, les blocages (Dubost et Lizet, 1995), mais aussi les émotions (Loiseau et alii, 1993).
  • Les représentations initiales peuvent servir de point de départ pour une recherche, en mettant en évidence des conflits cognitifs ou des lacunes dans les connaissances.
  • Les représentations initiales permettent à l’animateur ou au formateur d’adapter un dispositif d’apprentissage à son public ; c’est, entre autres choses, gérer une distance, des distances, et pas seulement à propos des contenus (Collectif Réseau Ecole et Nature, 1997).

Comment recueillir les représentations ?

Il faut d’abord préciser que les représentations s’expriment toujours indirectement à travers les expressions libres, les attitudes, les gestes et les comportements de chacun (Hostetter, A., Alibali, M.W., & Niedenthal, P.M., 2012). Etre attentif à cela constitue déjà une porte d’entrée non négligeable pour faire connaissance avec son public.

Un recueil de représentations désigne plutôt des modalités plus formelles pour y accéder.

Diversifier les méthodes :

  • méthodes verbales (écoute active, questionnaire écrit ou oral, panneau partage d’idées, jeu du portrait chinois)
  • méthodes non verbales (dessin ou schéma, construction en 3D, gestes)
  • méthodes verbales et non verbales (photolangage, objet symbolique, saynète, jeu de rôles).

Individuellement ou en groupe ?

D’après Dessautels et Larochelle (1992), et contrairement aux idées reçues, le recueil collectif des représentations permet de les expliciter davantage, par effet d’entraînement et d’association.

Certains craignent que les représentations exprimées soient dès lors moins « pures ». C’est oublier qu’il s’agit de toutes façons d’un dispositif de communication public, soumis à la pression sociale. Ne nous illusionnons donc pas sur le caractère « vrai » de ce qui est recueilli : les élèves communiquent ce qu’ils peuvent exprimer, ce qu’ils veulent bien exprimer, ou encore ce qu’ils ne veulent pas exprimer, en fonction du sujet, du contexte et des personnes qui les entourent.

En fonction du propos, il s’agira de choisir la méthode qui convient le mieux.

Ce nœud est crucial et l’aborder collectivement en situation d’apprentissage peut faciliter la prise de conscience. En effet, la perspective qu’un groupe de personnes s’éclaire lui-même et que les personnes s’éclairent réciproquement est plus pertinente que la démarche personnelle, du fait que la subjectivité est une faculté inhérente au langage, qui seul fonde le concept d’ego (d’après les apports de Benveniste, relayés par Hansotte, 2005).

En effet, l’inconfort psychologique engendré par une perturbation vécue en situation d’apprentissage engendrera probablement une tentative d’autosauvetage en se raccrochant à son socle et en le justifiant, pour retrouver son unité : « oui, mais…. ». L’énonciation qui suit traduira une recherche de cohérence, de références et de valeurs qui assuraient la légitimité de ce que la personne faisait ou pensait « par habitude ». Ce faisant, elle se met au jour, peut-être d’abord pour elle-même.

Que faire des représentations ?

Première règle d’or : leur donner du poids, de la valeur, de l’importance au moment de leur expression.

Cela signifie un accueil chaleureux et une écoute attentive et active de la part de l’animateur/formateur, veiller à éviter le jugement de valeur ou la moquerie, à installer un climat de confiance :

  • de manière verbale ou non verbale, remercier la personne de s’être exprimée ;
  • veiller à reformuler ou à faire préciser si nécessaire ;
  • recadrer systématiquement le statut de la représentation, surtout si une personne exprime une vision que d’autres contestent, éventuellement en se moquant de celle/celui qui s’est exprimé.

Cela signifie aussi un accueil chaleureux et une écoute attentive et active de la part des autres personnes. Pour favoriser cette attitude, l’animateur/formateur joue un rôle pédagogique essentiel.

Deuxième règle d’or : leur donner du poids, de la valeur, de l’importance par la suite.

C’est à ce moment crucial que l’on se rend compte si l’animateur ou le formateur accorde une réelle importance au recueil des représentations, s’il a compris à quoi cela peut servir.

Si le recueil des représentations poursuit comme objectif de les enrichir, il faut d’abord traiter les informations récoltées. Par exemple : les classer, les associer, les évaluer, les analyser, les hiérarchiser, les questionner,…

Ensuite, il convient de proposer une situation de rupture par rapport à ces représentations, un contexte où elles ne fonctionneront plus tout à fait aussi bien, une situation expériencielle qui introduira un doute dans les croyances ou les préjugés.

En effet, malgré leur grande stabilité, les croyances sont aussi relativement plastiques. Lorsqu’une nouvelle expérience engendre une dissonance cognitivo-affective suffisamment puissante, une brèche peut s’ouvrir (« je me rends compte que ce que je pense en ce moment est en contradiction avec ce que je fais ou pense d’habitude ») et les ébranler au point de rendre leur explicitation vitale. Mais entre les croyances et les comportements, le lien n’est pas direct. Entre les deux interviennent les attitudes et les normes, qui déterminent les intentions, en fonction du contexte.

Dans une ambiance positive de pratique du « respect et du doute fraternel », selon une très belle expression reprise dans la Charte du Réseau Citoyens – Citizens Network Justice et Démocratie, le processus de déconstruction-reconstruction des subjectivités peut s’opérer pour arriver à intégrer les nouvelles données, et ainsi aider chacun à se « mettre à jour ».

Troisième règle d’or : mettre en évidence le changement dans les représentations, et le processus qui a abouti à ce changement (métacognition).

Bibliographie

Collectif Réseau Ecole et Nature, 1997. Alterner pour apprendre, Montpellier, éd. École et Nature, 69 p. www.ecole-et-nature.org

Collectif, 1997, Exprimer ses représentations (http://www.educ-envir.com/ecole_et_…), dans Alterner pour apprendre – entre pédagogie de projet et pédagogie de l’écoformation (http://www.educ-envir.com/ecole_et_…), Réseau Ecole et Nature, Montpellier.

Dessautels J., Larochelle M., 1992, Autour de l’idée de science – itinéraires cognitifs d’étudiants, De Boeck Université, Bruxelles.

Garnier C., Sauvé L., 1999. Apport de la théorie des représentations sociales à l’éducation relative à l’environnement – Conditions pour un design de recherche, Éducation relative à l’environnement – regards, recherches, réflexions, Arlon, FUL, pp. 65-77.

Hostetter, A., Alibali, M.W., & Niedenthal, P.M., 2012. Embodied social thought : Linking social concepts, emotion, and gesture. In S.T. Fiske and N. Macrae (Eds.), Handbook of Social Cognition. Thousand Oaks, CA : SAGE Publications.

Loiseau J.-M., Terrasson F., Trochel Y., 1993. Le paysage urbain, Paris, éd. Sang de la Terre.

Morin E., 1999. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Unesco, 67 p.

Niedenthal, P.M. Dalle, N., & Rohmann, A., 2001). Emotion et cognition sociale. [Emotion and social cognition]. In A. Channouf et G. Rouan (Eds.), Emotion et Cognition. De Boeck.

Niedenthal, P.M., Krauth-Gruber, S., & Ric, F. (2008). Comprendre des émotions. Wavre, Editions Maragda.

Nugier, A., & Niedenthal, P.M. (2005). Les émotions aux commandes des cognitions. In L. Ria (Ed.), Les Emotions. Paris : Editions Revue.

Rouan G., Channouf, A., 2001. Emotion et Cognition, De Boeck Université, Bruxelles.

Sauvé L., Machabée L., 2000. La représentation : point focal de l’apprentissage, Éducation relative à l’environnement : Regards – Recherches – Réflexions, vol. 2, Arlon, Fondation Universitaire Luxembourgeoise, pp. 183-194.

 

Pour citer cet article : Partoune, C., « Faire évoluer les représentations mentales », in « Tous éducateurs », répertoire d’outils créés par les formateurs de l’Institut d’Eco-Pédagogie (IEP), novembre 2013
URL : https://ecotopie.be/publication/faire-evoluer-les-representations-mentales

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